« N’oublie pas Christy, tu dois garder ta main sur le bord de la piscine. Ne lâche sous aucun prétexte. » Intima avec un sourire la professeur de natation, une jeune femme brune d’une trentaine d’années, à une petite Christy Swire qui tremblait de peur du haut de ses sept ans. Sa mère l’avait inscrite à ces cours de natation durant l’été afin qu’elle puisse apprendre à nager sans que ses parents soient présents, à la surveiller. La piscine dans laquelle se déroulait ce premier cours était assez peu profonde, à quelques mètres de là se trouvait le bassin des adultes, bien plus profond que celui dans lequel elle évoluait. Les autres enfants se cramponnaient également au bord, si bien que leurs doigts crispés s’ankylosaient. De plus, l’odeur désagréable du chlore leur attaquait les narines avec force. La monitrice semblait quelque peu dépassée par l’anxiété qui émanait de la petite tribu collée au bord de la piscine. Alors qu’elle ouvrait la bouche pour donner une nouvelle consigne au groupe, elle vit la petite blonde, la petite Swire lâcher prise et sombrer sous la surface en s’agitant.
Elle sentit des bras la saisir, pour la sortir de l’eau, une eau salée qui lui irritait les yeux et le nez. Sa gorge était serrée, sa poitrine se soulevait avec rapidité pour reprendre un souffle de rythme normal. Son corps se faisait sortir de la mer, elle pouvait percevoir les grains de sable qui se frottaient à son dos, et l’air autour d’elle était frais, le vent soufflait, si bien que les vagues redoublaient de force et venaient jusqu’à elle pour lui chatouiller les pieds. Finalement, elle ouvrit les yeux, éblouie par la lumière, elle n’aperçut qu’un visage encadré de longs cheveux bruns, penché sur elle, par reflexe, elle murmura : « Mutti ? » (“maman“)
Ses yeux s’adaptèrent à la luminosité de la piscine publique, et elle se rappela : elle était en vacances à Tewkesbury, elle n’était pas en vacances au bord de la mer sud de la France. La sensation de l’air marin autour d’elle était si réelle ! C’était comme un souvenir qu’elle n’avait jamais vécu. C’était son premier souvenir de sa précédente vie, déclenché par le terrible sentiment de noyade …

Au fur et à mesure des années, les flashs, les rêves qui ressemblaient plus à des souvenirs qu’à des divagations de l’esprit, se firent plus réguliers, plus forts, plus prenants. Effrayée par ce qu’elle voyait, ce dont elle se souvenait, elle choisit de n’en parler à personne. La petite fille, puis l’adolescente n’avait pas besoin de ce genre d’attention portée sur elle. Tandis qu’elle voyait ses parents s’éloigner d’elle au fur et à mesure qu’elle grandissait et qu’elle prenait un peu plus d’indépendance, ses rêves lui montraient des parents présents et aimants.

Elle se tenait dans une salle d’embarquement avant de grimper à bord de l’avion. Autour d’elle se détachait des visages impatients, pressés ou encore pleins d’appréhension à l’idée de décoller. La plupart lisaient pour se détendre, d’autres regardaient à la fenêtre d’où l’on pouvait voir le manège incessant des décollages et atterrissages, enfin, une petite minorité passait un dernier coup de fil à leur famille sur leur téléphone portable. Les hôtesses appelèrent les passagers à embarquer. Après avoir montré son passeport, elle passa devant une vitre, s’attendant à voir sur visage rond encadré d’une épaisse chevelure brune de laquelle dépassaient habituellement deux grosses boucles d’oreille. Au lieu de ce visage familier, elle fut stupéfiée de voir que son reflet lui rendait l’image d’une tête blonde aux traits fins. Quelques instants plus tard, l’avion au départ de Londres pour New York décollait avant d’exploser plus loin, au-dessus de Lockerbie en Ecosse.
« Chris ? » Sa grand-mère secoua son épaule pour la faire émerger du sommeil. La jeune femme cessa de s’agiter et se réveilla subitement. Elle avait maintenant vingt-quatre ans et l’intensité des rêves et autres flashs ne s’était pas réduite. Elle n’était pas en mesure d’expliquer ce qu’il se passait dans sa tête, ni à qui appartenait la vie à laquelle elle assistait régulièrement … Elle l’ignorait. Cependant, certains faits étaient bel et bien présents : depuis ses premiers flashs, en plus d’une passion grandissante pour la musique des années quatre-vingt, elle avait développé un intérêt particulier pour la littérature, en lisant des textes, elle se surprenait à les étudier, les analyser. Plus étonnant encore, elle s’était rendue compte, à l’âge de vingt ans, qu’elle parlait couramment allemand en n’ayant jamais étudié la langue.

La jeune femme, paniquée par ce qui lui arrive et qu’elle ne peut pas expliquer, n’en parle à personne. En fait, elle craint de s’ouvrir sur ce sujet, persuadée qu’elle souffre de schizophrénie – n’étant pas même traversée par l’idée de la réincarnation – et redoute le fait qu’une telle maladie mentale lui coûte son travail qui lui permet de garder les pieds sur terre.

Ma douce Christy, bienvenue à Tewkesbury. Tu es rongée par une identité qui t'es complètement différente. Entre la jeune femme solitaire et l'adolescente insouciante, ton âme se perds dans les méandres du temps. Tu te sens bousculée par la réminiscence, chose qui semble être effrayante à tes yeux. Je vois à travers ton être, et je peux te dire que tu es très proche de perdre ton identité.

Maintenant que tu es validée, mon lapin. Tu vas pouvoir te mêler à la masse des autres fous de notre petit comté. Avant tout, si tu as besoin de quelque chose, n'hésite pas à faire un passage du côté des demandes. Libre à toi alors de te tisser des liens avec ces spécimens, puis de répertorier vos folles aventures. Si toutefois tu dois t'absenter un moment, n'oublie pas de nous prévenir. N'hésite pas un instant à venir t'amuser dans le flood ou la chatbox. Enfin, si la moindre question te taraude, tu peux venir harceler le staff qui fera son possible pour ne pas te manger, haha. Bref, bon jeu parmi nous.